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 L'interdiction de l'amiante : une bataille planétaire

procès de Turin

Janvier

 

Résultats « alarmants » - les utilisations actuelles de l’amiante dépassent les limites d’exposition

La « ville la plus dangereuse du monde » a été abandonnée et supprimée des cartes


L'INTERDICTION DE L'AMIANTE : UNE BATAILLE PLANÉTAIRE

Si quelques voix s'élèvent à la fin des années 80 et au début des années 90 pour réclamer l'interdiction de l'amiante dans le monde, comme celle de la FITBB ( Fédération Internationale des Travailleurs du Bâtiment et du Bois) avec son Manifeste de Berne du 17 décembre 1991, le véritable coup d'envoi d'une bataille qui allait bientôt se dérouler sur tous les continents est donné les 17 et 18 avril 1993 en Italie à Milan lors de la rencontre internationale " Bastamianto " organisée sous le patronage de la région Lombardie. Scientifiques, chercheurs, spécialistes du monde médical, parlementaires, syndicalistes et représentants du monde associatif, réunis à cette occasion, lancent un appel pour que l'interdiction de l'amiante devienne enfin effective et totale. Ils précisent : "Cette loi d'interdiction ne règlera pas tout. L'assainissement des lieux contaminés, la surveillance épidémiologique des populations exposées, l'indemnisation des victimes seront à l'ordre du jour pour longtemps encore".

Naissance du réseau Ban Asbestos

C'est l'année suivante lors du Séminaire international " Amiante : bannissement ou usage contrôlé ? " tenu les 28, 29 et 30 mars 1994 à São Paulo au Brésil que sera tirée, au terme de trois jours de rencontres et de débats, la conclusion qui s'impose : il est temps de construire un réseau planétaire rassemblant tous ceux, organisés ou pas dans des syndicats, associations ou mouvements, qui ont décidé de mettre fin au premier crime de masse de l'ère industrielle. Ce sera l'acte de naissance du Ban Asbestos Network (BAN : réseau mondial pour l'interdiction de l'amiante).

Mais cette rencontre internationale au Brésil nous donne aussi l'occasion d'identifier sur le terrain ceux qui se rangent dans le camp des promoteurs de l'usage mortel de l'amiante. Pour que ce séminaire se déroule normalement, il a fallu en effet que le Ministère brésilien du Travail résiste aux pressions et autres tentatives d'intimidation de ceux qui entendaient bien voir se poursuivre partout dans le monde le business du " magic mineral " : pressions des exploitants de mines d'amiante représentés par la S.A. Mineraçao de Amianto (SAMA), du Comité Permanent Amiante français et surtout de l'Ambassade du Canada, affirmant ainsi clairement le rôle prépondérant joué par ce pays dans la défense, sur tous les continents, de l'utilisation de la fibre tueuse.

Le lobby canadien, qui - dans une union sacrée pour défendre son industrie minière et ses exportations porteuses de mort - rassemble, au nom du patriotisme économique, industriels, gouvernements fédéral et québécois, ainsi que certains syndicats, n'apprécie guère les empêcheurs de faire du business en rond. Il ne va pas tarder à se manifester de nouveau.

Le réseau Ban Asbestos prend pied ici et là, d'un continent à l'autre, et commence à rassembler les énergies. Les partenaires s'appellent :

Swedish Metalworkers'Union (Suède), Japan Citizens' Network for Wiping out of Asbestos (Japon), Medicina Democratica (Italie), Associazione degli Esposti all' Amianto (Italie), Bureau technique syndical européen pour la santé et la sécurité (Bruxelles), The Society for the Prevention of Asbestosis and Industrial Diseases (G.B), Hull Asbestos Action Group (G.B),Clydeside Action on Asbestos (G.B), White Lung Association (USA), Asbestos Victims Special Fund Trust (USA), Bond Beter Leefmilieu (Belgique), Alianza frente al Asbesto (Pérou)

Difficilement supportable pour le lobby et pour son centre nerveux canadien, l'Institut de l'Amiante, qui publie dès 1994 un document intitulé : "Ban Asbestos : une supercherie de fanatiques". De ce texte on citera simplement cette phrase : "La poursuite aveugle des buts exposés dans le manifeste du mouvement Ban Asbestos risque d'imposer des coûts énormes à la société et exposerait inutilement le public et les travailleurs à un risque plus élevé". Et l'on se posera simplement la question : existe-t-il un " risque plus élevé " que les millions de morts causés par l'amiante de par le monde, dont l'Institut de l'Amiante semble ne jamais avoir entendu parler ?

L'action de BAN en France et en Europe : un mouvement s'organise

Ces années-là, la bataille fait rage en France, pays qui occupe une place centrale dans la stratégie mise en œuvre par le lobby de l'amiante. Ce dernier ne se vante-t-il pas d'avoir torpillé toute évolution de la législation européenne vers une interdiction du matériau par l'intermédiaire du tristement célèbre Comité Permanent Amiante (CPA), fleuron de la désinformation à la française ? Saint-Gobain, qui contrôle une partie de l'extraction minière de l'amiante au Brésil, n'est-elle pas une des fiertés du capitalisme à la française ?

Le 25 août 1994 Ban Asbestos publie un communiqué de presse en réaction à la mort d'un sixième enseignant du Lycée professionnel de Gérardmer dans les Vosges, dont la cause semble imputable à la présence d'amiante dans les plafonds de l'établissement.

Extrait : " Bien que les différents Ministères concernés, et en particulier celui de l'Education nationale, aient été alertés dès début 1992, ainsi que le Conseil supérieur d'Hygiène publique de France, un recensement exhaustif des bâtiments floqués n'a toujours pas été mené à bien sur l'ensemble du territoire. Aucun plan de prévention impliquant une évaluation correcte des risques n'a été mis en œuvre. Le prétexte invoqué est toujours le même : il ne faut pas affoler "inutilement " la population…(…)Y a t'il encore quelqu'un responsable de la Santé Publique en France ? "

Il devient désormais impossible au lobby de l'amiante d'endiguer la déferlante qui s'annonce. En février 1996, Ban Asbestos participe en tant que membre associé à la création de l' Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante (ANDEVA). Les Pouvoirs Publics doivent se résoudre à interdire enfin l'amiante dans notre pays, mesure annoncée le 3 juillet 1996 et effective à compter du 1er janvier 1997.

Dans un communiqué en date du 5 juillet de la même année, le réseau BAN souligne que "les coûts de la reconversion et de l'indemnisation des victimes doivent incomber à l'industrie" avant de demander que "la France soutienne désormais un projet de directive européenne d'interdiction de l'amiante dans les pays de la CEE et que soit introduite dans la réglementation commerciale internationale une clause imposant aux firmes transnationales d'appliquer les réglementations en vigueur dans la CEE".

Chez les marchands de mort, on s'inquiète de l'évolution de la situation. Le 22 juillet 1997, l'Institut de l'amiante canadien réagit dans un mémorandum avec un seul mot d'ordre : "minimiser l'impact de la décision française en Europe et au niveau international"…. Non sans au passage reconnaître l'efficacité de notre travail : "The French government's decision underscores the effectiveness of the Ban Asbestos movement. It is expected that Ban Asbestos will move quickly in other countries in order to capitalize on its recent success in France" ("la décision du gouvernement français témoigne de l'efficacité du mouvement Ban Asbestos. On peut s'attendre à ce que ce mouvement s'étende rapidement à d'autres pays afin de capitaliser son récent succès en France") .

La bataille se déroule effectivement désormais au plan européen où BAN multiplie contacts et rencontres : le 13 mars 1997 séance de travail sur l'interdiction de l'amiante en Europe au Parlement européen de Strasbourg avec le député vert Paul Lannoye ; en juillet 97, contribution à la conférence nationale de l'AEA italienne à Milan. Pour autant le réseau ne néglige pas ce qui se passe dans l'hexagone et de premiers échanges permettent rapidement de comprendre l'importance de ce qui deviendra " l'affaire du CMMP d'Aulnay sous Bois ".

Le Canada et les organisations internationales

L'été 1997 va être marqué par une offensive du lobby de l'amiante avec la tentative d'instrumentaliser les organisations internationales :des scientifiques sont sollicités pour la relecture de chapitres d'un rapport de l'OIT (Organisation Internationale du Travail) intitulé " Exposition aux fibres naturelles et synthétiques ". En fait le rédacteur du chapitre sur l'amiante n'est autre que Jacques Dunnigan, qui a été longtemps porte-parole de l'Institut de l'amiante au Québec et l'éditeur en charge de ce travail n'est pas un inconnu pour tous ceux qui suivent ce dossier de près : il s'agit de Graham Gibbs, défenseur acharné et de longue date de l'industrie de l'amiante…La conclusion du chapitre est donc sans surprise : " Il n'y a pas de risque excessif pour les travailleurs manipulant de l'amiante chrysotile aux niveaux d'exposition actuellement contrôlés ".Devant le refus de beaucoup de scientifiques de voir leur nom associé à cette manœuvre et la protestation de nombre de syndicats, le rapport sera stoppé. Le rôle de veille de BAN, associé à d'autres réseaux de par le monde, voit son importance confirmée avec la mise en échec de cette manipulation vraisemblablement engagée dans la foulée d'une Conférence sur l'amiante organisée au Brésil en mai 1994 par les industriels pour contrer les effets de notre colloque de mars 1994.

Mais le Canada ne se décourage jamais : il tient à rester dans le peloton de tête des marchands de mort. Aussi attaque-t-il la décision française d'interdiction devant l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en mai 1998 avec pour objectif déclaré de " maintenir l'accès au marché pour les produits à base de chrysotile dont l'usage est sans risque quand il est utilisé correctement ". Ce sera désormais une constante dans la stratégie canadienne de pression tous azimuths : essayer d'accréditer l'idée que le chrysotile (amiante blanc) est inoffensif en comparaison des autres variétés d'amiante (comme la crocidolite ou amiante bleu). L'Institut de l'Amiante sera d'ailleurs débaptisé et deviendra l'Institut du Chrysotile…La ficelle est grosse : le chrysotile représente environ 90% de l'amiante produit et utilisé dans le monde. Il s'agit donc pour le lobby de sauver l'essentiel en se livrant à la désinformation la plus grossière puisque toutes les variétés d'amiante sont reconnues comme cancérogènes.

Vers une interdiction européenne de l'amiante

En cette année 1998 rien n'est encore joué au plan européen et l'offensive canadienne vise à empêcher l'Europe de basculer à son tour. Raison de plus pour ne pas faiblir ! En juin 1998 le réseau organise une réunion au Parlement Européen à Bruxelles qui rassemble parlementaires européens et représentants d'associations, de syndicats et de mouvements. L'objectif est de faire le point sur l'état d'avancement du projet de directive d'interdiction totale de l'amiante en Europe et de tout faire pour qu'il aboutisse. Laurie-Kazan Allen, qui publie depuis le début des années 90 la Ban Asbestos Newsletter, apporte alors une nouvelle impulsion à BAN en favorisant le rassemblement des différents réseaux déjà engagés dans la lutte contre l'amiante.

De cette rencontre va naître en 1999 IBAS (International Ban Asbestos Secretariat) C'est une instance d'information et d'appui au réseau. Celui-ci demeure ce qu'il est depuis la Déclaration de Sao Paulo : un réseau informel permettant l'échange d'information, la solidarité et le soutien aux actions de tous ceux qui luttent pour un bannissement mondial de l'amiante et pour que justice soit rendue aux victimes. Désormais Laurie Kazan-Allen sera l'infatigable animatrice d'IBAS. C'est en 1999 que l'Union Européenne décide de l'interdiction de l'amiante dans tous les Etats membres, cette interdiction devant être effective en 2005.

Toujours en 1999, BAN intervient dans la controverse devant l'OMC en envoyant une lettre à la Division du Commerce et de l'Environnement pour dénoncer le mythe de l'usage contrôlé de l'amiante et les mensonges propagés par le Canada dans son argumentaire.

Le mouvement international pour l'interdiction de l'amiante s'étend

L'année 2000 va être marquée par deux évènements : du 17 au 20 septembre se tient à Osasco au Brésil une Conférence internationale contre l'amiante. Après Milan en 1993 et Sao Paulo en 1994, cette rencontre est un nouveau temps fort de l'action de BAN. La ville d'Osasco n'a pas été choisie au hasard :elle a été pendant longtemps le centre d'une industrie brésilienne de l'amiante-ciment dominée par Eternit ( groupe suisse) et Brasilit (filiale de Saint-Gobain).

Des dizaines de délégations sont présentes, venues d'Afrique du Sud, du Pérou, d'Argentine, du Chili, du Mexique, des Etats-Unis, du Canada, de Grande-Bretagne, d'Italie, du Portugal, d'Inde, de Malaisie, du Japon, de Chine, d'Australie, etc… à l'invitation de l'ABREA (Association Brésilienne des Anciens Exposés à l'Amiante), de BAN et d'IBAS. En présence des pouvoirs publics de la ville d'Osasco, ces délégations mêlent syndicalistes, médecins, hygiénistes, militants associatifs et politiques, travailleurs sociaux, écologistes, épidémiologistes et surtout victimes et salariés exposés. Cette rencontre consacre une manière de construire une expertise collective par le partage des savoirs des uns et des autres et de repartir plus forts afin d'atteindre les objectifs fixés : dénoncer les stratégies de " double-standard " des multinationales européennes (Eternit et Saint-Gobain), faire reconnaître les droits des victimes, obtenir des pouvoirs publics qu'ils gèrent l'amiante en place sans dommage pour la santé publique et enfin progresser vers l'interdiction mondiale de l'amiante. A l'issue de cette Conférence, la municipalité d'Osasco annonce que l'amiante est désormais banni sur sa commune. Un petit pas de plus…

En septembre 2000, l'OMC rejette la plainte que le Canada avait déposé contre la France en considérant que l'interdiction était une entrave illégale à la liberté du commerce…Le Canada décide de faire appel.

Sur cette lancée l'année 2001 promet d'être animée et elle va l'être. Tour à tour l'Angleterre, la Belgique, la Hollande et l'Ecosse accueillent des rencontres permettant de renforcer la solidarité entre des participants venus de pays et de continents différents. Le 4 juin 2001 à Brighton, l' AG du syndicat anglais le plus engagé dans la lutte contre l'amiante (GMB's : General Municipal and Boilermaker's Union) est l'occasion de réaffirmer la nécessité d'une action internationale d'envergure.

Les 7 et 8 juin 2001 à Bruxelles, plus de 40 délégués venus d'une vingtaine de pays (dont beaucoup d'Europe de l'Est) se retrouvent à l'initiative d'IBAS et de l'ABEVA (Association Belge des Victimes de l'Amiante) .Ce séminaire permet aux participants de comparer et d'analyser les situations dans leurs pays respectifs et de faire pression pour que l'amiante ne disparaisse pas de l'agenda européen. Grâce aux témoignages des représentants de Lituanie, Pologne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie et Slovaquie, l'étendue du désastre sanitaire que l'amiante a provoqué dans les pays d'Europe de l'Est devient palpable, son invisibilité étant due à la non-reconnaissance des maladies. Des nouvelles du Brésil permettent de mesurer " l'effet-domino "qui fait gagner du terrain à l'interdiction : les quatre Etats les plus industrialisés et bon nombre de villes sont gagnées mais toujours pas d'interdiction nationale en vue… Enfin l'analyse par Barry Castleman de la controverse Canada - France devant l'OMC met en évidence les pratiques anti-démocratiques tant de cette organisation que de son Organisme de Règlement des Différends (ORD) sur fond d'installation en catimini d'un véritable " gouvernement mondial " où les firmes transnationales dictent leur loi.

Deux autres réunions se tiennent également, l'une à Rotterdam en présence de députés, de juristes, de victimes et de chercheurs, l'autre à Glasgow ,véritable ville-témoin du désastre sanitaire causé par l'amiante dans une région, l'Ecosse, marquée par une longue histoire de chantiers navals et d'industrie lourde.

Mais l'Europe n'est pas la seule à bouger. Toujours en 2001 se déroule en octobre à Buenos Aires une rencontre latino-américaine sur l'amiante organisée par le Ministère argentin de la Santé avec le soutien de l'OMS, de l'ABREA et d'IBAS. Marquant la naissance d'un Forum Latino-Américain permanent ayant pour objectif l'élimination de l'amiante sur l'ensemble du Cône Sud, elle va permettre de faire le point sur une situation très variable d'un pays à l'autre. Le Chili interdit l'amiante en juillet 2001,suivi bientôt par l'Argentine, mais certains pays continuent de l'utiliser sur leur marché intérieur alors que dans le même temps ils l'ont remplacé par des produits de substitution pour l'exportation… Derrière ce constat, on retrouve comme toujours l'inacceptable logique du transfert des risques des pays dits " développés " vers ceux du " Tiers monde ". On retrouve également les habituelles pressions du Canada pour tenter d'empêcher toute décision d'interdiction, au Chili en particulier, mais ce n'est pas un scoop…

Pendant que le mouvement se renforce d'un continent à l'autre, une importante nouvelle est tombée en mars 2001 : l'organe d'appel de l'OMC confirme que la plainte du Canada contre la France n'était pas fondée. Selon le rapport, toutes les variétés d'amiante sont cancérogènes et le chrysotile ne peut être considéré comme analogue aux produit de substitution. Une belle victoire pour un mouvement social réunissant victimes, scientifiques, chercheurs, professionnels, syndicalistes et simples citoyens.

La mondialisation des luttes

L'année 2002 va s'ouvrir sur une première de taille : les 7500 mineurs sud-africains qui avaient porté plainte contre la multinationale anglaise Cape et bataillaient depuis 1997 afin que soient reconnues les conséquences dramatiques sur leur santé de l'exploitation des mines d'amiante sud-africaines, obtiennent gain de cause avec 21 millions de livres de réparation. C'est la fin du premier grand procès international de l'amiante.

Au cours des années suivantes, l'affrontement se poursuit sans répit d'un continent à l'autre entre le lobby pro-amiante emmené par le Canada bien sûr, mais aussi la Russie et la Chine, et tous ceux pour qui la santé publique passe bien avant les impératifs du commerce international.

Les Conférences se succèdent comme celle d'Ottawa du 12 au 14 septembre 2003 : " L'amiante canadien : une préoccupation mondiale ". Un véritable coup de pied dans la fourmilière, dans un pays qui figure parmi le trio de tête des producteurs mondiaux d'amiante et cela ne manque pas de faire réagir violemment le lobby contesté au cœur même de son territoire. La présentation des résultats de la première enquête épidémiologique sur les maladies liées à l'amiante (cancers et mésothéliomes), menée par Louise De Guire de l'INSP du Québec, ouvre une brèche dans le mur du silence qui empêche tout débat sur ce sujet et pour la première fois des Canadiens, y compris des syndicalistes, désavouent publiquement la position pro-chrysotile du gouvernement canadien. Quelques mois plus tard, le 5 décembre, se tiendra une réunion historique donnant le jour à la première association de victimes dans ce pays, Association des Victimes de l'amiante du Québec (AVAQ) .

Au début de l'année 2004, la situation devient très tendue au Brésil avec la violente mise en cause de notre amie, Fernanda Giannasi, inspectrice du travail dans l'Etat de Sao Paulo et bête noire des industriels. L'interdiction de l'amiante dans quatre Etats et 70 municipalités du pays est intolérable pour eux. Lettre anonyme, mise au placard, menaces… Il faudra une campagne internationale de soutien pour que l'administration brésilienne redonne à F.Giannasi une certaine liberté d'action. Et le 26 Août 2004, suite à une action en justice du Ministère Public de São Paulo (équivalent du parquet), Eternit est condamné à indemniser ses employés malades de l'amiante au Brésil. Ce jugement s'applique à tous les employés et ex-employés d'Eternit au Brésil. Plus de 2000 personnes sont concernées et le montant total des indemnisations pourrait atteindre 500 millions de reais (environ 160 millions €). Il s'agit d'une importante victoire pour les victimes de l'amiante au Brésil. Il faut, toutefois, noter que cette décision ne s'applique pas aux victimes d'autres compagnies, comme par exemple Brasilit (Saint-Gobain), même si on peut espérer que ce jugement fasse jurisprudence.

Le mois de mai 2004 voit se dérouler une première réunion internationale sur l'amiante en Pologne et une rencontre en Hollande organisée par l'Association hollandaise des victimes de l'amiante (Dutch Society for Asbestos Victims). Les questions de prévention et d'indemnisation sont au centre des débats. A l'automne c'est au Parlement européen que sont abordées les questions liées à l'interdiction programmée pour le premier janvier 2005 en Europe :que va-t-il se passer avec les nouveaux pays intégrant l'Union Européenne ? Où en est la prévention ?

A propos de prévention, une autre bataille se déroule sur le terrain de la Convention de Rotterdam qui oblige les producteurs de produits toxiques figurant sur une liste baptisée PIC (Prior Informed Consent) et périodiquement révisée à informer les Etats sur la dangerosité de ces produits, et ce avant toute mise sur le marché. En septembre 2004, l'inscription du chrysotile sur cette liste est à l'ordre du jour. Canada, Russie et Chine vont réussir à s'y opposer, une position dénoncée par l'association des victimes du Québec lors d'une conférence de presse.

Pour une interdiction mondiale de l'amiante

Enfin en novembre 2004 le Congrès international de Ban Asbestos (Global Asbestos Congress) se tient au Japon, événement particulièrement important sur un continent où le lobby est à l'offensive partout pour pérenniser l'usage de l'amiante(cf le congrès qu'il a organisé en Inde en novembre 2003).Il réunit des associations de 40 pays différents et près de 800 participants pour un bannissement mondial de l'amiante et pour que justice soit rendue aux victimes. Il est aussi l'occasion d'attirer l'attention sur l'intense propagande pro-amiante orchestrée par le Canada aussi bien en Afrique qu'en Asie et en Amérique latine pour faire prospérer le marché de l'amiante-ciment. Il permet enfin de pointer le développement d'un autre marché, celui du démantèlement des navires par des chantiers navals asiatiques où les travailleurs enlèvent l'amiante sans aucune protection. Les pays de l'Union européenne se permettent ainsi de dégager leur responsabilité en contrevenant aux règlements internationaux, notamment la Convention de Bâle, qui interdisent l'exportation de déchets toxiques. L'affaire du Clemenceau en fournira l'exemple parfait.

Mais la lutte ne se déroule pas que dans les salles de conférence ou par voie de presse. Ainsi en Egypte une lutte oppose fin 2004 les ex-ouvriers de l'usine de canalisations en fibrociment Ura-Misr au propriétaire et aux directeurs successifs : surexploitation des ouvriers, absence de protection pour le déchargement quotidien de 36 tonnes d'amiante et pour le travail au mélangeur, absence d'information, dissimulation des radios et examens de santé… Maladies et décès ne tardent pas à frapper avant que n'interviennent des licenciements abusifs, tandis que des salaires restent impayés depuis septembre 2004. Les ouvriers se battent pour la reconnaissance de leurs maladies professionnelles et l'obtention d'indemnisations. BAN se joindra à la campagne de soutien organisée par Réseau-Solidarité de la fédération Peuples Solidaires.

Le premier janvier 2005 l'interdiction de l'amiante devient effective dans tous les Etats membres de l'Union Européenne. C'est cette même année qu'éclate l'affaire de la " coque Q 790 " c'est à dire de l'ex porte-avions Clemenceau. Une longue bataille navale s'engage qui va mobiliser l'énergie de tout le réseau au plan international, l'enjeu n'étant rien d'autre que la fin de la Convention de Bâle. Elle trouvera son épilogue en 2006 et cette victoire mémorable sera riche d'enseignements.

Les 22 et 23 septembre 2005 se tient une réunion au Parlement européen à Bruxelles à l'initiative d'IBAS et de parlementaires européens. Le démantèlement des navires en fin de vie est à l'ordre du jour. Contact est pris avec l'association Justice environnementale basée à Genève ainsi qu'avec une association d'avocats bengalis qui mènent un gros travail au Bangla Desh.

L'intervention du Commissaire européen à l'Environnement, Stavros Dimas, conforte notre analyse de la situation du Clemenceau : la coque Q 790 est bien un déchet, qu'il s'agisse d'un matériel militaire n'y change rien, la France est tenue de respecter la Convention de Bâle et la Directive européenne sur le transport des déchets. Restera par la suite à explorer la possibilité de déposer plainte contre les armateurs qui continuent à agir en toute illégalité.

En cette année 2005 les choses bougent aussi en Suisse à l'initiative du CAOVA (Comité d'Aide et d'Orientation des Victimes de l'Amiante).L'interdiction dans ce pays a eu pour effet de faire retomber le silence sur la situation des victimes et sur la gestion de l'amiante en place. Le CAOVA tente d'organiser des plaintes collectives intégrant les immigrés en particulier italiens qui ont travaillé dans les usines suisses du groupe Eternit, mais aussi ceux qui ont travaillé dans les établissements italiens. L'enquête ouverte par le procureur de Turin avance et devrait déboucher sur un procès mettant enfin en cause Stephan Schmidheiny, magnat de l'amiante qui s'est refait un lifting médiatique en investissant le marché du " développement durable "…

En 2006 c'est bien sûr la date du 15 février qu'il faut retenir. En France, ce jour-là, le Conseil d'Etat suspend la décision d'autoriser l'envoi de la coque de l'ex Clemenceau vers la baie d'Alang en Inde. Victoire considérable due à un certain nombre de facteurs : le travail fait bien en amont par Jim Puckett du Basel Action Network et Martin Besieux de Greenpeace international lors de la rédaction de la convention de Bâle ; celui effectué par Greenpeace, la FIDH et une association du Bengladesh, Young power in social Action (YPSA), sur les conditions de travail des ouvriers du démantèlement des navires en Asie ; les liens établis avec les " activistes " indiens notamment lors du Global Asbestos Congress de Tokyo à l'automne 2004 ; le soutien de l'ARDEVA Sud-Est, de la CGT de Toulon et des contacts de Brest ; le travail remarquable du cabinet d'avocats Teissonnière - Topaloff - Lafforgue en collaboration avec Ban Asbestos-France ; la mobilisation de nombreux journalistes ; la réactivité totale de tous les acteurs de ce dossier mené au jour le jour ; la synergie des compétences et des mobilisations, en France comme en Inde ; enfin les bourdes de l'Etat français…

Conséquence de tout cela : la question de l'amiante est reposée de manière spectaculaire en Inde, pièce maîtresse dans la stratégie du lobby international et le mouvement mondial pour l'interdiction de l'amiante repart de plus belle.

Rien n'est gagné cependant. En septembre 2006, une nouvelle réunion pour la mise à jour de la liste PIC dans le cadre de la Convention de Rotterdam ne permet pas de faire sauter le verrou canadien, russe et chinois qui bloque l'inscription du chrysotile sur cette liste. Rendez-vous pour la prochaine mise à jour… En Asie, le débat continue à faire rage, les conférences organisées étant l'occasion de faire connaître notre point de vue, comme à celle qui se tient à Bangkok en Thaïlande en juillet 2006 et à laquelle participe Laurie Kazan Allen pour IBAS.

Le combat continue ….

La bataille pour l'interdiction mondiale de l'amiante lancée au Séminaire de São Paulo en 1994 est loin d'être terminée. Dans un premier temps, l'industrie a tenté d'empêcher l'interdiction en France. Elle a perdu. Puis elle a essayé de contenir cette interdiction au seul territoire français. Sans succès. Elle mène maintenant des batailles à retardement pour conserver notamment les marchés d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine. Ces pressions prennent différentes formes mais s'inscrivent toutes dans une stratégie de double-standard, dont l'affaire du Clemenceau est la dernière illustration.

Le Canada reste en pointe, avec son Institut du Chrysotile, pour défendre ce qu'il considère comme une industrie d'intérêt stratégique national, ce qui donne lieu à des manifestations de " patriotisme économique " où tous ceux qui dénoncent les dangers de l'amiante sont présentés comme des agents manipulés par des industries concurrentes (fabriquant des produits de substitution), " étrangères " de surcroît, visant à faire du tort à " l'intérêt national ". Le son de cloche est le même au Brésil où, par ailleurs, on assiste au développement d'une stratégie des multinationales consistant à se retirer - partiellement ! - en laissant aux opérateurs nationaux la gestion des sites pollués et la confrontation avec le problème des indemnisations à verser aux victimes.

Face à ces manœuvres destinées à retarder de quelques décennies supplémentaires une interdiction mondiale de l'amiante, un mouvement social sans précédent prend de l'ampleur. Il y a urgence : l'Organisation Mondiale du Travail (OIT) estime que le nombre de morts au travail causées par l'amiante s'élève à plus de 100 000 morts par an et le Docteur Jukka Takala de l'OIT affirme que cette évaluation pourrait être sous-estimée de 40%…. En 2006, lors de la 95e Assemblée générale, pour la première fois, l'OIT s'est prononcée pour la fin de l'usage de toutes les variétés d'amiante.

 

Patrick Herman, juin 2007