ROLE TOXIQUE CUMULATIF DE L'AMIANTE DANS

L'APPARITION DES FIBROSES ET DES CANCERS

 

Le début d'une exposition à un toxique est le point de départ du temps de latence de la maladie considérée, temps nécessaire, soit pour que la pathologie soit perceptible par un observateur, soit pour que le processus pathologique arrive à son terme.

Dans le cas des fibroses provoquées par l'amiante, ce minéral agit, au final, via "l'activation" de l'oxygène et la production d'espèces oxygénées radicalaires agressives, sur une classe de cellules appelées fibroblastes. Ceux-ci synthétisent alors, de façon anarchique, des fibres de collagène, produit biologique très résistant qui, par exemple, sert d'armature à tout tissu cicatriciel. La fibrose est tout simplement due à l'accumulation de fibres de collagène dans le tissu considéré : espace interstitiel pulmonaire (entre les alvéoles), c'est le cas de l'asbestose, ou au niveau des plèvres, c'est le cas des plaques et épaississements pleuraux. De fait, biologiquement parlant, c'est le résultat d'un mécanisme de défense tendant à emprisonner et isoler le produit étranger, ici les fibres d'amiante. Ultérieurement il y aura dépôt de sels de calcium sur la trame des fibres de collagène.

Plus il y aura de fibres d'amiante accumulées, plus il y aura de fibres de collagène dans le tissu considéré, plus le tissu sera rigidifié, plus les échanges gazeux seront ralentis. Au-delà d'une certaine concentration de fibres de collagène dans une zone donnée, c'est-à-dire à un stade déjà avancé de la pathologie, le phénomène deviendra visible en radiographie.

La fibrose est donc un phénomène cumulatif, engendré par la totalité de la charge pulmonaire et pleurale en fibres d'amiante. La relation dose effet est une relation linéaire sans seuil.

Dans le cas des cancers provoqués par l'amiante le mécanisme de cancérogenèse en cause est considéré, classiquement, avec trois phases distinctes dans le temps, une phase d'initiation, une phase de promotion et une phase dite de progression. L'amiante est maintenant considéré comme un cancérogène complet, c'est-à-dire capable d'intervenir dans les trois étapes, sous réserve des ruptures d'équilibre nécessaires entre entités toxiques et moyens de défense secrétés par l'organisme.

La phase d'initiation est un processus d'altération du matériel génétique, considérée comme irréversible suite à une étape de division cellulaire. La cellule initiée est alors considérée comme " fixée ". Cette phase implique une attaque du génome par une entité étrangère au milieu biologique normal, entité à caractère électrophile ou radicalaire. Dans le cas de l'amiante l'agression est l'œuvre de radicaux oxygénés générés grâce à l'activité de surface de la fibre minérale. Les cellules " initiées " ne sont nullement des cellules tumorales. Elles ont très probablement une durée de vie non notablement différente de celle des cellules normales, à la différence des cellules tumorales qui sont immortelles.

La phase de promotion est considérée comme réversible, c'est-à-dire sensible à divers facteurs. Elle est dépendante d'une activité prolongée et continue de l'agent promoteur. Les promoteurs entraînent une altération de systèmes enzymatiques propres à la cellule " initiée " et une extension de la population de ces cellules. L'amiante est à même de jouer à la fois un rôle initiateur et promoteur. Le renouvellement de la charge pulmonaire en amiante, au fil du temps, contribue à assurer un caractère continu à l'activité promotrice.

La phase de progression est irréversible et engendre l'apparition des cellules tumorales, bénignes ou malignes. Cette phase s'accompagne au niveau cellulaire, de changements dans la structure du génome, plus ou moins profonds, qui vont gouverner la vitesse d'expansion de la tumeur, la production de métastases, etc. Il est admis dans cette phase, là encore, un rôle probable des espèces radicalaires engendrées par l'activité de surface de l'amiante.

Les expositions successives et cumulées à l'amiante jouent donc un rôle dans l'apparition des tumeurs, non seulement en multipliant les cellules " initiées ", mais surtout en assurant une permanence dans l'activité toxique lors de la phase de promotion. En effet au fil du temps il y a disparition progressive de l'activité toxique liée à l'amiante inhalé, soit par épuration, soit par passivation de l'activité de surface du minéral. D'où l'importance du renouvellement de la charge pulmonaire. L'aspect cumulatif des expositions dans la toxicité par cancer est donc bien réel quoique différent de celui rencontré dans le cas des fibroses.

A noter également que cet effet cumulatif peut, éventuellement, faire intervenir d'autres cancérogènes, diverses possibilités de synergie existant entre amiante et d'autres polluants, lors des étapes successives de la cancérogenèse.

 

Henri Pezerat

Toxicologue

Directeur de recherche honoraire au CNRS