Briser l'impunité des industriels de l'amiante dans le secteur de la construction et de l'isolation 

IBB, Vienne, 5-7 février 2008

  

La campagne pour l'interdiction mondiale de l'amiante suppose de donner une visibilité plus importante à ce qui ne peut plus, aujourd'hui, être mis sur le compte de l'ignorance des effets sanitaires de cette fibre cancérogène sous toutes ses formes, qu'il s'agisse des amphiboles ou du chrysotile. Les travailleurs de la construction et de l'isolation, souvent exposés à des mélanges de chrysotile, crocidolite, amosite et autres, connaissent des taux particulièrement élevés de cancer. On peut citer les quelques 2900 morts de l'amiante, ayant travaillé ou vécu sous le vent de l'usine de Casale Monferrato en Italie. Nous connaissons cette catastrophe parce qu'un procès pénal devrait s'ouvrir incessamment au tribunal de Turin, contre le PDG d'Eternit Suisse, Stephan Schmidheiny et ses collaborateurs.

L'impunité de l'industrie de l'amiante doit enfin être brisée pour faire cesser les stratégies criminelles de l'industrie mondiale de l'amiante, dans les pays asiatiques, africains et latino-américains au mépris de la santé et de la vie des travailleurs et des populations. 

 

I. Les stratégies criminelles du Cartel de l'amiante 

Les stratégies des industriels de l'amiante demeurent les mêmes qu'au siècle dernier. Il s'agit de tenter de récréer le doute sur les effets sanitaires de l'amiante et de masquer par une campagne commerciale mensongère les conséquences dramatiques de l'usage de l'amiante. 

§ Recréer le doute sur les effets sanitaires de l'amiante 

- la campagne pro-chrysotile 

Appuyée sur les travaux d'un " scientifique " payé par l'industrie, Berstein, l'Institut du chrysotile canadien a annoncé haut et fort les résultats de " nouvelles " recherches visant à prouver que le chrysotile ne serait pas dangereux.

Henri Pezerat, toxicologue, a étudié ses travaux [version française - English version]. Il montre comment Berstein s'appuie sur une propriété particulière du chrysotile - sa faible biopersistence - pour en déduire l'absence de toxicité de cette fibre d'amiante.

L'hypothèse de Berstein ets la suivante : " les filtres chrysotile restent moins longtemps que les autres catégories d'amiante dans l'organisme, les poumons, donc elles ne sont pas dangereuses ". [bio persistence].

Les travaux d'Henri Pezerat et ceux d'autres équipes, publiés et mondialement reconnus par la communauté scientifique internationale, montrent que l'hypothèse et la démonstration de Bernstein sont fausses.

Dans le texte joint, Henri Pezerat souligne deux points importants :

- la cancérogénicité du chrystile n'est pas liée à la durée de la présence des fibres dans le poumon, mais à la composition physicochimique de la fibre et au processus d'interaction entre la fibre et la cellule.

- la méthodologie de Bernstein, considérée comme peu fiable par les autres chercheurs, ne permet absolument pas de démontrer son hypothèse.

En clair, il s'agit de résultats dénués de crédibilité scientifique, qui n'apportent rien de nouveau susceptible de mettre en doute ce qui est important, à savoir le consensus scientifique international établi depuis plusieurs décennies sur le caractère cancérogène du chrysotile, attesté désormais par des centaines d'études toxicologiques et épidémiologiques. 

- un usage pervers de l'épidémiologie 

Les preuves de la toxicité de l'amiante constituent un savoir universel. Nous n'avons pas à prouver dans chaque pays, chaque mine, chaque usine, que l'amiante donne le cancer.

Mais les industriels de l'amiante continuent à tenter de faire croire que l'absence d'études épidémiologiques sur les effets sanitaires de l'amiante en Inde, au Pérou ou ailleurs, permettrait d'affirmer que, dans ces pays-là, l'amiante n'est pas dangereux.

Tout d'abord, ils omettent de prendre acte du fait que la patrie du chrysotyle, le Québec, détient un triste record : le taux de mésothéliome le plus élevé du monde chez les femmes de la région minière, c'est-à-dire par une exposition domestique ou environnementale à faible voir très faible dose aux poussières des mines de chrysotile, notamment par la présence de déchets miniers aux portes des agglomérations comme Thetford Mine. Une étude récente menée en collaboration par l'AVAQ (association de défense des victimes de l'amiante au Québec) et des chercheurs américains à montré la présence de fibres d'amiante à l'intérieur des maisons de Thetford Mine.

En second lieu, l'industrie de l'amiante finance des études coûteuses et scientifiquement malhonnêtes. Pour eux, il ne s'agit pas de mettre à disposition des victimes de l'amiante, identifiées parmi les travailleurs et population exposés, les infrastructures sanitaires indispensables au diagnostic et aux soins des maladies liées à l'amiante. Tirant parti de l'extrême mobilité des travailleurs et de l'inexistence de structures sanitaires accessibles aux travailleurs et à la population pauvre, les chercheurs s'emploient à prouver qu'au Brésil ou en Inde, par exemple, il n'y a pas de résultats scientifiques probants permettant d'affirmer que l'amiante y a fait des victimes. 

§ Les autres stratégies des industriels de l'amiante et du fibrociment 

Trois d'entre elles sont bien connues mais répétées à l'infini :

à l'offensive commerciale et la pression médiatique sur les gouvernements des pays producteurs dans les pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine.

à la mystification syndicale fondée sur le mensonge d'un possible " usage contrôlé " de l'amiante.

à l'organisation méthodique d'une invisibilité de leur responsabilité dans la catastrophe sanitaire de l'amiante en Europe. C'est, par exemple, le cas de la création du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante en France, qui fait totalement disparaître la responsabilité propre de chaque industriel, en particulier ceux qui comme les dirigeants de Saint-Gobain, Eternit, Valeo, Wanner Isofi et bien d'autres ont délibérément perpétué le commerce d'amiante qui fera, en France, 100 000 morts, entre 2000 et 2025]. 

 

II. Le recours à la justice pénale pour briser l'impunité 

Le recours à la justice pénale est un outil de lutte syndicale et de mobilisation politique. Les procès qui s'engagent pour homicides, atteintes à l'intégrité d'autrui, mise en danger de la vie d'autrui, négligences coupables, doivent ermettre de briser l'impunité des industriels et employeurs quand ils exposent les salariés et les consommateurs à des risques cancérogènes tels que l'amiante.

L'enquête criminelle engagée par Raffaele Guarinello, procureur à Turin, contre les principaux décideurs et bénéficiaires d'un siècle de commercialisation criminelle de l'amiante en Europe et ailleurs dans le monde - ces dirigeants de la maison Eternit - permet pour la première fois d'imputer la responsabilité pénale des 2900 victimes recensées à Casale Monferatto à des personnes physiques. Raffaele Guarinello a également exigé de pouvoir identifier les victimes italiennes parmi les travailleurs Eternit ayant travaillé en Suisse dans les usines du groupe. Ban Asbestos se portera partie civile au nom des victimes internationales - celles, si nombreuses, des multiples pays d'implantation de la marque Eternit - et nous souhaitons vivement que l'IBB soit également présente dans cette action judiciaire qui, pour la première fois, dépasse les frontières.

Deux autres types d'actions judiciaires témoignent de l'importance politique des actions en justice pour faire entrave aux stratégies criminelles des industriels. En France, en 2006, selon le Ministère du travail, 78% des chantiers de désamiantage n'étaient pas conformes aux règles du Code du travail. Des actions pénales devant les tribunaux correctionnels sont engagées à l'initiative de syndicats et d'associations pour " mise en danger de la vie d'autrui ". il ne faut pas attendre 30 ans pour constater les infractions aux règles de sécurité : exposer des travailleurs à l'amiante ou à d'autres cancérogènes est une infraction. Le procès engagé contre Alsthom pour " mise en danger d'autrui " (exposition à l'amiante après l'interdiction en 1997) par une coordination intersyndicale, soutenue par des associations, procès dans lequel 150 salariés se sont portés partie civile. Alsthom a été condamnée (cf communiqué Ban Asbestos 2006).

Enfin, un autre action devant la justice administrative ou pénale doit être poursuivie, celle qui a conduit au retour du Clémenceau au nom du droit des travailleurs indiens des chantiers de démantèlement des navires à être protégés contre les risques du travail. 

 

Conclusion :

En conclusion, je voudrais insister sur le fait que le procès de Turin préfigure la création nécessaire d'un tribunal pénal international du travail contre l'impunité et contre toutes les formes d'exportation de la mort au travail. Non seulement il faut une interdiction mondiale de l'amiante mais nous devons obtenir aussi la condamnation de ceux qui délibérément font commerce de cette fibre mortelle.  


 

English abstract 

French campaigners have amassed a wealth of knowledge about the machinations of the asbestos lobby during their long and ultimately successful campaign to ban asbestos in France. Dr Annie Thebaud-Mony, Director of Research at INSERM, focused on strategies to break the impunity of the global asbestos lobby and to challenge their campaign to create doubt where none exists. Pro-chrysotile campaigners display the work of paid industry scientists, such as David Bernstein, to justify the mythical policy of "controlled use of asbestos." According to Bernstein's application of the concept of bio-persistence, because chrysotile fibers do not stay in the lungs as long as other asbestos fibers, they are not damaging. This is incorrect. Since the 1980s, independent scientists have repeatedly shown that the carcinogenicity of chrysotile fibers is not linked to the time they are present in the body rather it is the physical composition and reactiveness of the fibers when they are in the cell environment which causes the cancer process. The issue of bio-persistence is a red herring and part of industry's smokescreen to exonerate chrysotile asbestos (See the critics done by Henri Pezerat, toxicologist, lien avec le texte anglais Bernstein). Furthermore, there is no need to undertake epidemiological studies in every country to prove that asbestos causes death; numerous studies have been done and the evidence is clear. The demand for country-specific studies in consuming countries is another stalling tactic used by vested interests to prolong the time during which profits can be made from the commercial exploitation of asbestos. 

In France, a grass roots social movement forced the government to ban asbestos and set up a national fund (FIVA) to compensate the injured. Unfortunately the operations of the Fund disguises the true horrors of the country's asbestos epidemic as settlements are made behind closed doors and not in the full public glare of court proceedings. Thebaud-Mony praised the efforts of Italian Prosecutor Raffaele Guariniello whose research has revealed 2,900 asbestos-related deaths caused by the operations of the Eternit asbestos group in Italy and Switzerland. The trial of the class action against Eternit is due to commence in Spring/Summer 2008 and support for this action was urged as the company's criminal negligence in permitting these hazardous exposures is tantamount to murder. 

For complete information about the Vienna meeting, see IBAS website.   


1 There are 3,000 asbestos-releatde detahs/year in France and 800 fatal occupational accidents