Faisabilité de la mise en place d'un dispositif de santé publique

autour de l'ancien site industriel de broyage d'amiante (CMMP) d'Aulnay-sous-Bois

 

Rapport GISCOP93, novembre 2012

 

Commentaires Ban Asbestos France, février 2013

 

 

Le rapport d'étude de faisabilité de la mise en place d'un dispositif de santé publique autour de l'ancien site industriel de broyage d'amiante (CMMP) d'Aulnay-sous-Bois, élaboré par le GISCOP 93, rend compte d'une démarche particulièrement intéressante, rigoureuse et complète, de recensement des sources possibles d'information en vue de constituer les cohortes de personnes ayant pu subir une contamination à l'amiante due à cette exploitation industrielle. Il en ressort que, dans une perspective de santé publique, la mise en œuvre d'une stratégie rigoureuse de constitution de ces cohortes est non seulement possible mais réellement nécessaire pour que les conséquences de la catastrophe sanitaire de l'amiante soient enfin identifiées à leur juste mesure pour ce site, faisant école pour d'autres.

L'analyse approfondie des conditions actuelles de mise en œuvre du suivi post professionnel (SPP) que présente également le rapport, fait un impressionnant constat de carence de l'accès à ce droit, quand on sait l'espoir que l'inscription de ce droit dans la loi dans les années 1990 avait suscité chez les travailleurs victimes de contamination par l'amiante. Le SPP n'a, jusqu'à présent, jamais été considéré comme il doit l'être, à savoir la première étape de la réparation d'un préjudice de contamination par l'amiante. En effet - et les jurisprudences récentes le montrent - le préjudice n'est pas seulement constitué par des lésions survenant 30 ou 40 ans après l'exposition, mais à partir même où se produit la contamination. La durée de celle-ci ne fait qu'augmenter le risque associé d'être atteint par les maladies engendrées par cette contamination. Ainsi, les propositions très constructives faites dans le rapport du GISCOP concernant le dispositif de suivi, dans ses différentes dimensions, sont - à notre connaissance - les premières visant réellement à faire jouer au SPP le rôle qui doit être le sien, et de l'étendre, en toute égalité, à toutes les victimes, familiales et environnementales, de la contamination par l'amiante due au CMMP (SPE).

Les militants de Ban Asbestos France tiennent à féliciter les chercheurs pour cette étude qui répond enfin à une requête des associations mobilisées autour du CMMP - vieille de 14 ans - et demande instamment à l'ARS de mettre en oeuvre au plus tôt la création de ce dispositif, répondant au droit à réparation de toutes les personnes, victimes d'une contamination due à l'activité du CMMP. Ce sera la première initiative française, voire européenne, en matière d'identification des populations affectées par une contamination professionnelle et environnementale à l'amiante, faisant enfin coïncider les objectifs de santé publique et de justice sociale.

Les remarques qui suivent sont une contribution à la réflexion pour la mise en place de ce dispositif, sur la base de l'expérience de Ban Asbestos France, en écho à l'expérience internationale du réseau du même nom et des scientifiques qui y participent.

 

Remarques

En santé publique, la notion de " cas index " est très importante. Elle nous paraît particulièrement appropriée dans le contexte de la contamination à l'amiante, professionnelle, familiale et environnementale, compte tenu des modes de contamination identifiés. Nous souhaitons que le recours au cas index rende le dispositif accessible à tous ceux qui, par ce biais, pourraient avoir accès aux SPP et SPE.

Nous insistons sur l'importance des signalements spontanés (p 17 du rapport). L'expérience des associations, dont la vigilance à ces signalements spontanés a permis la mise en évidence de la gravité de la contamination par l'amiante (et le zircon radioactif) autour du site du CMMP, nous incite à demander ce qui suit : en complément des cohortes constituées, il serait indispensable d'ouvrir un droit aux personnes ayant pu vivre ou travailler à proximité du CMMP durant la période 1991-2009, voire pour les riverains immédiats pendant la période des travaux entre 2009 et 2012 (cf expériences de suspension de travaux pour pollution dépassant la limite des 100f/L à différentes étapes du chantier).

Une autre source de sous-estimation de la contamination par l'amiante que celles évoquées p19 du rapport, est le fait qu'il n'est pas tenu compte des fibres courtes et fines (cf l'AFSSET 2009), ni de la synergie (à ce jour non explorée) entre amiante et rayonnements ionisants. En outre, la contamination, même faible à l'amiante (cas des pollutions environnementales), entre dans le cumul des expositions à d'autres cancérogènes - et pas seulement celle du tabac - notamment au travers de la pollution atmosphérique urbaine et ou d'autres expositions professionnelles, contribuant ainsi à accroître le risque de cancer, notamment respiratoire, chez tous ceux et celles ayant subi cette exposition. Nous demandons qu'un certificat d'exposition soit établi et remis à toute personne pour laquelle une contamination par l'amiante, liée au CMMP, a pu être établie. Ce certificat pourrait être rédigé à l'issue de la reconstitution du parcours professionnel et résidentiel réalisé dans le centre de suivi et remis à l'intéressé afin qu'il puisse en faire usage pour obtenir une prévention effective d'expositions professionnelles ultérieures à des cancérogènes.

Concernant l'abaissement de la valeur-limite à 10f/litre en 2015, il est important de rappeler qu'il s'agit d'une valeur de gestion de l'amiante en place et non d'un seuil de toxicité. Ban Asbestos France, le syndicat Solidaire et plusieurs associations régionales de lutte contre l'amiante ont déposé un recours en Conseil d'Etat pour demander que cette disposition s'applique dès maintenant, considérant que le maintien des limites actuelles constitue une mise en danger des personnes ayant à subir la contamination par l'amiante dans le cadre de travaux de désamiantage. Nous attendons la décision du Conseil d'Etat.

Dans le rapport, il est fait mention (p 55) de la discussion concernant " la validite de l'information sur les causes medicales de deces, en particulier s'agissant de causes rares comme le mesotheliome (Iwatsubo et al. 2002) ". L'étude d'Iwatsubo et al (2002) part des certificats de décès établis entre le 30 juin 1992 et le 1er juillet 1993 portant la mention mésothéliome, soit avant l'élaboration du rapport Inserm et l'interdiction de l'amiante, donc dans une période où le monde médical n'était pas encore sensibilisé au problème de l'amiante. L'étude consiste à rechercher, en rétrospectif, les médecins déclarants (qui n'ont pas pu, tous, être retrouvés) et à demander les preuves anatomo-pathologiques du diagnostic. Ne sont admis comme mésothéliome que les cas pour lesquels existe une confirmation - rétrospective - de diagnostic. L'étude conclut à une possible surestimation des cas de mésothéliome par les médecins. Outre les limites propres à l'étude, nous voulons insister surtout sur la non prise en compte, dans l'estimation d'Iwatsubo et al., des cas - nombreux - où le certificat de décès ne comporte pas le lien entre le décès et le mésothéliome, ce qui rend souvent difficile la requalification du décès comme associé à un mésothéliome, situation souvent rencontrée dans le cadre associatif, dès lors qu'il s'agit de préciser - en vue de l'accès aux droits à indemnisation - la cause précise du décès. Si des certificats médicaux portant la mention " mésothéliome " peuvent parfois avoir été établis par erreur par certains médecins, notre expérience plaide plutôt en faveur d'une sous-estimation.

Concernant les recherches possibles via le circuit d'information proposé par la CPAM (p 57 du rapport), il faut avoir à l'esprit que le régime général recouvre néanmoins près de 90% des assurés.

Ban Asbestos est particulièrement sensible à l'obtention de l'autorisation de l'Inspection d'Académie pour l'accès aux registres des écoles (p 63 du rapport). Compte tenu de l'expérience du collectif des riverains, il semble qu'au minimum les personnes ayant été contaminées dans l'enfance doivent faire l'objet d'une attention particulière et devraient constituer l'un des premiers groupes pilotes admis dans le dispositif de SPP/SPE. A ce sujet, les listes d'élèves restées dans les locaux auraient été détruites par les services municipaux lors de leur nettoyage (p 87 du rapport). A quelle époque ceci s'est-il produit? Est-ce pendant la période ayant précédé la décontamination/déconstruction ? Si les registres présents dans les écoles ont été détruits dans les années 2000, nous considérons qu'il s'agit d'un acte grave d'élimination de documents pouvant servir d'éléments de preuve, portant préjudice à des personnes susceptibles de bénéficier de droits, acte dans lequel la responsabilité de la municipalité et des services de l'Education Nationale est engagée.(lire la lettre du 3 février du Collectif des riverains au Maire)

Au sujet de la reconnaissance en maladie professionnelle (p 91 du rapport), nous tenons à rappeler qu'une maladie professionnelle liée à l'amiante non inscrite aux tableaux 30 ou 30bis ou dont le délai de prise en charge est supérieur à 40 ans (cas de mésothéliome) peut être reconnue dans le cadre du système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles. Des jurisprudences existent notamment pour le cancer du larynx.

L'identification de personnes à risque (p 97 du rapport) pourrait également conduire à une meilleure prévention primaire de l'exposition, notamment professionnelle, à d'autres cancérogènes, sachant la probabilité d'un risque fortement augmenté de survenue du cancer (voir infra la demande d'établissement d'un certificat d'exposition à l'amiante due à la contamination du CMMP).

Les paragraphes consacrés à la définition des enjeux d'un SPP ou SPE (p 112 du rapport) mettent en lumière l'articulation entre objectifs de santé publique et de justice sociale. Lorsque ces objectifs seront traduits dans un dispositif opérationnel, cela devrait avoir immanquablement un impact important sur les stratégies de prévention, surtout si une attention est portée à la responsabilité du pollueur et son implication dans les modalités de financement du dispositif et dans la réparation des préjudices.

Au sujet des liens entre plaques pleurales et mésothéliome (p 115 du rapport), une publication française, très récente, fait état d'un sur-risque significatif de mésothéliome dans les populations de victimes de plaques pleurales (Jean-Claude Pairon, Franc?ois Laurent, Mickael Rinaldo, Benedicte Clin, Pascal Andujar, Jacques Ameille, Patrick Brochard, Soizick Chammings, Gilbert Ferretti, Francoise Galateau-Salle, Antoine Gislard, Marc Letourneux, Amandine Luc, Evelyne Schorle, Christophe Paris, " Pleural Plaques and the risk of Pleural Mesothelioma " Journal of the National Cancer Institute, advanced access 25, 2013)

En écho à l'expérience de suivi dans la population américaine exposée à une contamination radioactive (p 117 du rapport), il faut souligner que les travaux scientifiques sur l'exposition aux RI montrent que les effets sanitaires ne se limitent pas aux cancers, mais concernent également les maladies cardiovasculaires, un affaiblissement des défenses immunitaires et l'apparition d'anomalies génétiques (cf travaux menés depuis 50 ans, par Rosalie Bertell, Roger & Bella Belbeoch, Michel Fernex, etc...). Un suivi clinique post-contamination apparaît alors comme étant la meilleure garantie d'une prise en charge médicale adaptée et susceptible d'anticiper par rapport à la survenue des effets chroniques graves.

Dans la mise en place du centre pilote de suivi post-exposition et post-professionnel pour les victimes de contamination par l'amiante due au CMMP, il est fondamental que les associations - représentant les victimes - qui se sont mobilisées depuis 17 ans pour obtenir la mise en application de la réglementation sanitaire sur les différentes dimensions de ce grave problème de santé publique, puissent être associées à la mise en place et l'évolution de ce dispositif.

En lien avec la synthèse des bénéfices attendus du dispositif proposé par le GISCOP 93 et compte tenu de l'expérience de l'enquête permanente menée par cette équipe, nous tenons à souligner que si un registre des cancers en Seine-Saint-Denis avait existé - comportant l'histoire professionnelle et l'histoire résidentielle - il aurait été possible de suivre au fil du temps l'évolution de l'incidence des cancers associés à une exposition aux pollutions du CMMP, en particulier l'amiante. Plus on tarde à mettre en place un système cohérent de registres départementaux de cancers, plus l'information est difficile à retrouver et suppose la mise en place de dispositifs complexes et coûteux (nous reviendrons sur la question du coût). La fonction de tels registres ne serait plus seulement de compter les vivants et les morts, comme ce qui se fait actuellement dans quelques départements français, mais (comme c'est le cas en Italie, en Australie, dans les pays nordiques) de faire jouer à la maladie le rôle d'évènement-sentinelle sur lequel fonder une approche cohérente des facteurs de risque de cancer. L'enquête permanente du GISCOP93 fait la preuve depuis 10 ans non seulement de la possibilité mais de l'intérêt de tels registres, dans un triple but de connaissance, de reconnaissance et de prévention. L'expérience dramatique du site du CMMP à Aulnay-sous-Bois devrait contribuer au soutien d'une telle stratégie de santé publique. A l'occasion de la sortie de l'étude du GISCOP 93, Ban Asbestos France renouvelle auprès de l'ARS sa demande de création de registres départementaux de cancers en Ile de France, registre comportant la reconstitution de l'histoire professionnelle et de l'histoire résidentielle de tout nouveau cas de cancer survenant dans le département.

Les chercheurs du GISCOP93 ont abordé la question des coûts d'un centre pilote de SPP/SPE, compte tenu du dispositif à mettre en place dans le cas de la contamination par l'amiante liée au site industriel du CMMP (p 138 du rapport). Nous considérons que le coût de ce dispositif fait partie des charges imputables aux responsables de cette catastrophe sanitaire, charges venant s'ajouter au coût de la déconstruction de l'usine et de la mise en sécurité du site. Depuis 12 ans, les associations demandent que le préfet use de ses pouvoirs régaliens pour immobiliser les sommes dues sur le compte de l'ancienne exploitante, conformément aux dispositions du code de l'environnement. Force est de constater que l'Etat admet, sans consultation démocratique d'aucune sorte, que de tels coûts soient supportés par les contribuables. Face à la stratégie délibérée de mise en danger de la vie d'autrui dont les conséquences sont désormais avérées (cf le jugement du tribunal pénal de Turin du 13 février 2012 faisant suite aux innombrables procès en faute inexcusable gagnés par les travailleurs et anciens travailleurs français victimes de l'amiante), Ban Asbestos France lutte depuis longtemps pour " la création d'un fonds abondé par les industriels ayant fabriqué des produits et matériaux contenant de l'amiante. Ce fonds serait destiné à financer partiellement la réalisation des opérations de désamiantage, en priorité des bâtiments publics mais pas exclusivement " . Dans le cas du site du CMMP, il nous paraît fondamental que les autorités sanitaires se retournent contre le CMMP, dans un type original d'action récursoire s'appuyant sur le principe " pollueur - payeur ", pour obtenir que les coûts sanitaires et environnementaux actuellement supportés par l'Etat - et donc le contribuable - soit intégralement mis à la charge de l'industriel.

 

(1)Voir le recueil de propositions présentées à madame Cécile Duflot lors de la rencontre entre celle-ci et des associations dont Ban Asbestos France, http://www.asso-henri-pezerat.org/wp-content/uploads/2012/10/association-henri-pezerat-propositions-octobre-2012.pdf et la proposition de loi n° 590 du 15/01/2008 du député Bernard Debré relative à la création d'un fond de financement des travaux de déflocage et de décontamination des immeubles contenant de l'amiante.www.ban-asbestos-france.com/images/pion0590.pdf