Communiqué de presse du 17 mai 2005

BAN ASBESTOS FRANCE 

 


 Le Clemenceau - comme tous les bateaux réformés français -

doit être désamianté en France 

 

Par un arrêt du 22 avril 2005, en référé, la 14ème Chambre de la Cour d'appel de Paris a reconnu la validité des arguments des trois associations (Ban Asbestos, Andeva, Greenpeace) qui demandaient communication du contrat liant l'Etat et la société panaméenne SDI. Cette société écran, garantie financièrement par la société ECKHARDT-Marine, est elle-même filiale du trust métallurgique allemand Thyssen. Le contrat concernait la vente et le devenir de la coque de l'ex porte-avions Clemenceau, et en particulier son envoi en Inde pour enlever plusieurs dizaines de tonnes d'amiante avant de la démanteler. 

Dans cet arrêt la Cour a considéré légitime l'intérêt à agir de l'Andeva et de Greenpeace(*), même dans le cas où les personnes qui seront amenées à traiter l'amiante ne se trouvent pas sur le territoire français. 

Cependant la Cour n'a pas ordonné la suspension de l'exécution du contrat, considérant qu'une telle décision excédait les pouvoirs d'une juridiction en référé, et a renvoyé en conséquence les plaignants devant le juge du fond qui seul pourra notamment déterminer si le navire est un " matériel de guerre " (thèse de l'Etat et de SDI) ou s'il relève de la législation sur les déchets dangereux. 

Une requête a donc été déposée par nos avocats, au nom des associations devant le juge du fond.

L'audience est fixée au

mardi 31 mai, 14 heures

4ème Chambre, Palais de Justice de Paris 

 

(*) Les juges, dans cet arrêt, ont déclaré irrecevable l'action de Ban Asbestos pour défaut de signature d'un PV de C.A. et absence de PV de la réunion ayant reconduit Patrick Herman à la présidence de l'association ! Défauts désormais corrigés pour nous présenter devant les juges du fond. 

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 La baie d'Alang (Inde) : un Bhopal quotidien, à petit feu

 

Si l'on ne pouvait imposer que la coque de l'ex porte-avions Clemenceau soit désamiantée et démantelée en France, elle serait remorquée vers la baie d'Alang en Inde pour y être vendue à l'état de ferraille.

Qu'en est-il des chantiers de la baie d'Alang ? 

Plusieurs enquêtes - en particulier celles de Greenpeace International en 1998, 2000 et 2002 - ont révélé la réalité d'une plage d'une dizaine de km de long où viennent s'échouer, poussés par des marée dont les amplitudes sont parmi les plus fortes du monde, des centaines de navires venant du monde entier. Entre mai 2001 et mai 2002, 264 bâtiments ont été ainsi vendus aux ferrailleurs indiens, les plus importants chantiers occupant la baie d'Alang. Aujourd'hui avec plus de trois cents navires démolis chaque année, Alang est le plus grand cimetière de navires du monde.  

La plage d'Alang est divisée en 184 parcelles, dont la plupart n'ont qu'une trentaine de mètres de large. Ces parcelles sont réparties entre une centaine d'entreprises.  

Entre 25.000 et 40.000 personnes, selon les périodes, y travaillent, les plus jeunes ayant à peine 17 ans, toutes pataugeant dans une boue extrêmement polluée. Les femmes transportent sur leurs têtes tous les objets les moins lourds, extraits des épaves (y compris des déchets d'amiante). Les hommes - une multitude - sont occupés à dépecer les navires au chalumeau et à traîner par groupes de dix ou vingt, tôles, poutrelles et toutes pièces métalliques accrochées à de longs câbles. D'autres, toujours en groupe, transportent ces pièces sur leurs épaules. D'autres encore, sur la plage constamment enfumée brûlent les huiles et tous les déchets non susceptibles de revente.

Seules, de temps à autre, apparaissent de petites grues, l'étroitesse des parcelles empêchant toute mécanisation des opérations. Les équipements de protection individuelle et collective sont quasiment inexistants. Tout au plus des casques ont été fournis. De temps à autre, un foulard masque le nez et la bouche du travailleur, la découpe de la coque au chalumeau s'effectuant sans masque et le plus souvent sans lunettes. Les accidents du travail sont quotidiens, y compris ceux provoqués par des explosions et incendies quand la flamme des chalumeaux touchent des poches de gaz, d'huile ou de carburant. Officiellement on dénombre un trentaine de décès chaque année, mais ce chiffre n'inclut pas tous ceux qui meurent de maladie. Il est donc largement sous-estimé.

L'ensemble des chantiers apparaît comme une immense fourmilière, de surcroît en été transformée en une fournaise où la température atteint aisément les 50°C, ce qui rend quasiment impossible l'utilisation des équipements de protection individuelle utilisés dans les opérations de désamiantage en climat tempéré.

Les travailleurs logent, en grande majorité, au plus près des chantiers, à plusieurs dans le même baraquement, au sein de bidonvilles sans eau courante, juste au-delà de la route qui court, parallèlement à la plage. Le sol et l'air y sont presque aussi pollués que sur les chantiers, la promiscuité, la pollution et la malnutrition entraînant une haute incidence de maladies graves (malaria, tuberculose, lèpre et maintenant sida, sans compter les maladies professionnelles).

Une pollution très grave sous de multiples formes est omniprésente tant sur les chantiers que dans l'environnement terrestre et maritime.

L'amiante par exemple est partout, venant de la destruction des calorifugeages, des cloisons, plafonds et de multiples lieux au sein des navires où il assurait l'isolation thermique et même phonique. Lors des opérations de démantèlement, l'amiante est arraché sans la moindre précaution à mains nus, à la barre à mine, ou dispersé sous le feu des chalumeaux. Dans les reportages filmés de Greenpeace International de 1998 et 2000, on voit même un ouvrier étalant à la main, par terre, pour le faire sécher, de l'amiante bleu (crocidolite, la variété d'amiante la plus dangereuse) en vrac. Cet amiante sera ensuite revendu dans quelques unes des multiples échoppes situées le long des routes du voisinage. Ce polluant à lui tout seul engendrera des milliers de victimes de fibroses pleuro-pulmonaires et de cancers.

Mais la pollution par l'amiante n'est pas la seule. Les peintures contenant des pigments à base de plomb et de chrome VI sont extrêmement fréquentes dans les navires et engendrent des nuages de toxiques sous le feu des chalumeaux, d'où l'apparition inévitable des multiples et diverses manifestations du saturnisme, et, à terme l'apparition de cancers.

Les peintures de coque de navires contenant du tributylétain (TBE), un pesticide utilisé pour éviter les dépôts de mollusques et coquillages divers sous la ligne de flottaison, sont à l'origine d'une grave pollution des milieux marins et sont désormais interdits d'utilisation, mais les bateaux n'ont pas loin de 30 ans d'âge en moyenne quand ils viennent finir leur vie à Alang, et les analyses de Greenpeace ont montré sur place une pollution considérable de l'eau, des sédiments et des sols par le TBE et secondairement par d'autres dérivés organiques de l'étain, redoutables pour leur neurotoxicité.

Quant aux biphénylspolychlorés (les PCB) on les trouve dans les navires non seulement à l'état liquide dans les transformateurs, mais à l'état solide dans les peintures, dans de multiples appareils électriques, dans des gaines de câbles, etc., en raison de leur inertie chimique et de leur résistance au feu. Sous la flamme des chalumeaux, à très haute température, ils donnent des dioxines et des furannes, composés non seulement cancérogènes mais responsables de diverses atteintes en particulier du système immunitaire.

Enfin les multiples feux sur les plages et la flamme des chalumeaux produisent des nuages de fines poussières, riches en hydrocarbures polycycliques aromatiques, les HPA, premiers cancérogènes repérés dès le 18ème siècle comme étant à l'origine du cancer du scrotum des ramoneurs, et connus maintenant comme l'une des principales familles de cancérogènes, à l'œuvre dans les cancers de la peau, des poumons, de la vessie, etc.. Et là encore les analyse de sols et de sédiments réalisées par Greenpeace ont révélé des taux inquiétants.

Au final il apparaît que les ouvriers vivent en permanence dans une atmosphère hautement polluée qui est déjà et qui sera plus encore demain à l'origine d'une multitude de maladies et de décès. Un spécialiste allemand en santé-travail, accompagnant la délégation de Greenpeace en 1998, a estimé qu'au moins un quart des travailleurs seraient atteints prématurément par des cancers professionnels, ce qui est sans doute une estimation à minima si l'on tient compte des probables effets de synergie entre les différents polluants.

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En 1998 il était comptabilisé, de par le monde, une mise au rebut annuelle d'environ 700 navires. Depuis le nombre de navires envoyés chaque année au démantèlement n'a fait qu'augmenter et l'interdiction des navires à simple coque - survenue le mois dernier - ne va faire qu'accélérer ce mouvement.

Parallèlement, si dans les années 1970, des pays comme l'Espagne et la Grande-Bretagne avaient développé des chantiers de démantèlement hautement mécanisés, ce sont les chantiers asiatiques (Inde en tête) qui, dès le début des années 1980 ont pris le relais dans le cadre de stratégies de sous-traitance des firmes multinationales de l'acier, en cassant les prix, sans investissement majeur, en employant une main d'œuvre nombreuse, sous payée et livrée sans défense à une grave surexposition à des toxiques majeurs.

Devant les protestations internationales quelques mesures ont été prises, dérisoires, par exemple des panneaux - en anglais - appelant à respecter la sécurité (No safety, Know pain. Know safety, No pain), des casques ont été distribués. Rien à voir avec les investissements lourds qu'implique un chantier de désamiantage, sans parler de la prévention face aux autres polluants.

Et rien ne changera sans une remise en cause totale de tels chantiers, ne serait-ce que parce que la technique d'échouer sur une plage un énorme navire face à un chantier de trente mètres de largeur, ne peut pas permettre d'appliquer un plan correct de sécurité. Au delà, il faut considérer dans quelle situation se trouve aujourd'hui l'Inde en matière de santé des travailleurs. Dans la réglementation indienne, l'usage de l'amiante est toujours autorisé et il n'y a pas de normes strictes de prévention. C'est encore le règne de " l'usage contrôlé " préconisé par les firmes multinationales de l'amiante présentes en Inde. Ceci s'inscrit dans un contexte social où salaires, conditions de travail et protection sociale sont sans rapport avec la situation des pays européens, ce qui justifie les stratégies des multinationales de l'acier qui peuvent ainsi abaisser les coûts du démantèlement des navires. Sur de tels chantiers la mise aux normes européenne en matière de sécurité signifierait une transformation sociale profonde de l'organisation du travail en Inde, voire de la société indienne dans son ensemble.

Notre responsabilité - en tant que pays exportateur de navires devenant des réservoirs de déchets - est le respect de la convention de Bâle que la France a signé. Celle-ci interdit l'exportation de déchets quand le pays exportateur dispose de la technologie pour assurer la décontamination, ce qui est le cas de la France. La solution est donc - pour ce qui nous concerne - ici, en France et non en Inde où la lutte sur l'amiante et l'amélioration des conditions de travail est infiniment plus difficile.

Dans un cas comme celui du Clemenceau, puisque le désamiantage implique le démantèlement, alors un ou plusieurs chantiers navals doivent s'équiper pour de telles opérations, en respectant l'ensemble des mesures de prévention nécessaires, face à la totalité des toxiques émis lors de tels travaux.